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Ces dernières années, les luttes pour l'égalité femmes-hommes (EFH) ont pris une place importante sur les réseaux sociaux en Haïti. Hélène Breda (2022) attribue cette dynamique à une réponse contemporaine face à la discrimination sexiste historiquement ancrée dans les médias traditionnels, lesquels ont longtemps empêché les femmes de s'approprier des espaces d'expression. Grâce aux plateformes numériques, les femmes disposent désormais de nouveaux canaux pour porter leurs revendications et rendre visibles les causes liées à leur condition (Jouët, 2022).
Dans ce contexte, nous avons entrepris d'étudier les pratiques d'activisme en ligne sur Facebook en faveur de l'EFH en Haïti entre 2017 et 2023. La problématique centrale consistait ainsi à analyser dans quelle mesure les campagnes d'activisme numérique menées sur Facebook ont permis de sensibiliser, mobiliser et influencer les perceptions et les comportements en lien avec les inégalités de genre en Haïti au cours de cette période.
Réalisée dans le cadre d'un master 2 en communication et marketing, cette étude s'attache à examiner une pratique émergente — l'activisme en ligne — et à identifier les stratégies les plus efficaces pour favoriser des changements sociaux durables en matière d'EFH.
Méthodologie de recherche : approche mixte et défis rencontrés
Cette étude a adopté une approche mixte combinant des méthodes qualitatives et quantitatives afin d'obtenir une compréhension approfondie du phénomène étudié. Les données ont été collectées via des questionnaires en ligne auprès d'utilisateurs et utilisatrices de Facebook (40 personnes, dont 67,5 % de femmes et 32,5 % d'hommes) et des entretiens semi-structurés avec des activistes engagé·e·s pour l'EFH (10 activistes, dont 8 femmes et 2 hommes).
D'une part, les entretiens semi-structurés ont permis de répondre au premier objectif spécifique, à savoir analyser comment les individus, en particulier les femmes, s'engagent dans l'activisme en ligne et comment ces actions influencent la lutte contre les inégalités de genre. D'autre part, le questionnaire visait à répondre au deuxième objectif spécifique, qui était d'explorer l'impact des pratiques d'activisme en ligne sur la société haïtienne en matière d'EFH, de changement social et de sensibilisation aux questions de genre. L'échantillonnage a été stratifié pour inclure une diversité de voix et de perspectives différentes.
L'analyse des données qualitatives a été réalisée manuellement à l'aide de l'analyse thématique, du codage in vivo et de l'analyse statistique. Les données quantitatives, quant à elles, ont été traitées par statistiques descriptives. Cependant, certaines difficultés ont été rencontrées : notamment, la taille de l'échantillon, initialement prévue à 100 personnes, a été réduite à 40, limitant la généralisation des résultats. Afin de pallier ces difficultés, nous avons renforcé l'analyse qualitative pour approfondir la compréhension des dynamiques de l'activisme numérique en Haïti.
L'activisme en ligne : une communication plus visible et accessible pour les luttes contre les inégalités femmes-hommes
Les résultats de l'enquête ont souligné que, grâce à l'activisme en ligne sur Facebook pour l'EFH, la compréhension des questions de genre (85 %), la sensibilisation sur des sujets en lien avec l'EFH (95 %) et la mobilisation contre les diverses formes d'oppression sont devenues plus visibles sur Facebook. Par ailleurs, le fait que cette nouvelle génération soit beaucoup plus connectée permet une meilleure visibilité des questions de genre (84,2 %) revendiquées par les activistes. Cette visibilité a facilité la sensibilisation des jeunes, entraînant en retour certains changements de comportement ou la remise en question de certaines attitudes jugées problématiques pour l'EFH.
Figure 1 : Impact de l'activisme en ligne sur l'EFH

Par ailleurs, en matière de changement social, Facebook se maintient comme un réel outil de lutte populaire, servant à vulgariser des sujets de lutte pour les activistes contemporain·e·s en Haïti. Malgré le fait que ce soit une nouvelle forme de stratégie de mobilisation, Facebook crée un réel contre-pouvoir démocratique à plusieurs niveaux. Facebook permet une portée plus réelle et visible des combats des activistes, la dénonciation continue des mécanismes de domination masculine et l'interpellation directe des décideur·e·s politiques par le biais des pétitions sur les réseaux.
Figure 2 : Changement social

Par rapport au profil des activistes interviewé·e·s, ils et elles sont principalement âgé·e·s de 25 à 34 ans (70 %) avec majoritairement un niveau d'études de maîtrise (60 %). Leurs actions d'activisme en ligne sont motivées par des expériences personnelles qui créent des déclics ou par le fait de soutenir des proches victimes de violences basées sur le genre (100 %). 80 % des activistes ont commencé à poser des actions d'activisme suite à des cas de cyberharcèlement dont ils et elles sont victimes, contre 70 % pour faire face à des discours antiféministes sur Facebook.
« Mon engagement pour l'EFH a débuté sur Facebook, à la suite d'un harcèlement que j'avais subi de la part d'un professeur à mon université. Ce jour-là, je n'avais que Facebook pour dénoncer la situation et exprimer ma frustration » (Zetha*).
« Quand j'avais commencé à faire des publications sur l'EFH en 2017, il y avait beaucoup de critiques par rapport à ma position. Maintenant, à longueur de journée, il y a des sujets de discussion sur l'EFH sur Facebook. Je crois que notre activisme a eu un impact significatif » (Judo*).
Figure 3 : Motivations et objectifs des activistes en ligne pour l'EFH

Quatre-vingt-dix pour cent des activistes ont signalé que l'absence de loi contre le cyberharcèlement en Haïti est un obstacle majeur renforçant leur vulnérabilité face à des discours antiféministes et augmentant les pratiques de harcèlement et de piratage. De plus, l'intimidation est un autre défi rencontré par 90 % des activistes en ligne, ce qui menace leur sécurité et leur engagement en ligne. Ces pratiques affectent parfois la motivation des activistes et impactent également leur engagement à court terme.
« Depuis quelques années, on constate une montée des discours antiféministes sur Facebook, et les activismes pour l'EFH deviennent des cibles pour ces groupes de personnes. Nous sommes régulièrement harcelé·e·s, critiqué·e·s et dénigré·e·s. Malheureusement, en Haïti, il n'existe aucune loi sur le cyberharcèlement, ce qui nous laisse sans protection face à ces attaques. Il est parfois décourageant de faire face à cette réalité » (Vilha*).
Figure 4: Défis et obstacles rencontrés par les activistes en ligne pour l'EFH

Activisme en ligne sur Facebook : outil de réappropriation de la parole par les femmes
Les données présentées ont prouvé que les réseaux sociaux sont devenus des espaces de luttes pour les féministes et de réappropriation de la parole pour reprendre le contrôle des droits des femmes et des filles. Ces espaces facilitent une libération de la parole et une ouverture à d'autres stratégies de combat pour l'égalité femmes-hommes. Ces nouvelles technologies d'information et de communication sont devenues des espaces de mobilisation pour les féminismes contemporains, comme l'a démontré la théorie du cyberféminisme de Donna Haraway (2007).
En outre, la notion du corps est beaucoup abordée dans la lutte des activistes pour critiquer les violences symboliques et les discours sexistes des hommes envers les femmes. D'autres facteurs, comme la dénonciation des cas de viol et de harcèlement, font également partie des sujets de lutte. Ainsi, Facebook offre un espace à des personnes qui n'auraient pas forcément accès à certains canaux de communication traditionnels pour dénoncer et apprendre de manière ouverte et inclusive. Par ailleurs, l'approche intersectionnelle (Crenshaw, 2023) de cette étude a démontré comment les femmes haïtiennes subissent des violences structurelles où l'oppression et la domination masculine sont très présentes. Ainsi, les activistes ont orienté leur lutte vers ces problèmes structurels que subissent les femmes en dénonçant le patriarcat, la masculinité toxique et les violences de genre.
Conclusion
Au regard des résultats de cette recherche, nous pouvons déduire que l'activisme en ligne sur Facebook en Haïti joue un rôle crucial dans la société haïtienne. Facebook devient ainsi un outil puissant d'empowerment, de revendication des espaces d'expression, de contestation des normes patriarcales et de mobilisation en faveur de l'égalité des genres.
Toutefois, plusieurs limites doivent être prises en compte. En particulier, la focalisation exclusive sur Facebook peut restreindre la compréhension globale de l'activisme en ligne dans la société haïtienne. Pour surmonter ces limites, les recherches futures pourraient explorer d'autres plateformes, telles que X (anciennement Twitter) et TikTok, afin de comparer leur impact et leur potentiel en tant qu'outils de mobilisation sociale.
Dans un contexte où les nouvelles technologies transforment sans cesse les formes d'engagement, se pose la question : comment ces plateformes pourraient-elles redéfinir les stratégies de lutte traditionnelles et amplifier l'impact des mouvements féministes en Haïti ?
Références
Bréda, H. (2022). Les féminismes à l’ère d’Internet : lutter entre les anciens et nouveaux espaces médiatiques. INA Éditions.
Crenshaw, K. (2023). Intersectionnalité. Éditions Payot & Rivages.
Haraway, D. J. (2007). Manifeste cyborg et autres essais. Sciences, fictions, féminismes (L. Allard, D. Gardey & N. Magnan, Trad.). Exils.
Jouët, J. (2022). Numérique, féminisme et société. Presses des MINES.
Notes
*Des pseudonymes ont été attribués aux activistes afin de préserver leur anonymat et garantir la confidentialité des données recueillies.