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Petite Rivière de l'Artibonite : entre espoir et craintes suite à l'arrestation de l'ancien député Prophane Victor

L'arrestation de Prophane Victor, accusé de liens avec les gangs, suscite espoir et inquiétude à Petite-Rivière-de-l'Artibonite.

Photo-composite fourni par la Police Nationale d'Haïti montrant l'ancien député Prophane Victor lors de son arrestation, le 12 janvier 2024.

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L'arrestation, le 12 janvier dernier, de l'ancien député de la commune de Petite Rivière de l'Artibonite par la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) a provoqué une onde de choc au sein de la population locale. Accusé de malversation et de complicité avec les gangs armés, cet événement a suscité des réactions variées parmi les citoyens.

La nouvelle a été accueillie avec une combinaison de prudence et de soulagement. Pour beaucoup, l'arrestation a été un moment d'espoir dans un contexte où la violence des gangs semble s'intensifier. « C'est une première étape vers la justice et le démantèlement des gangs », a déclaré Paul, commerçant résident dans la commune. « Nous avons besoin que ceux qui profitent de notre souffrance soient tenus responsables. Toutefois, le problème des gangs est un problème systémique qui mérite d'être traité de manière systémique », souligne James, sociologue originaire de Petite Rivière de l'Artibonite.

Pour le jeune sociologue, la violence dans la commune n'est pas spontanée, elle a un processus historique. Il faut rester lucide : l'arrestation est une étape importante, mais qu'est-ce que la justice a de concret contre lui ? Sera-t-il libéré sous peu ou condamné ?

D'autres citoyens expriment des inquiétudes quant aux implications de cette arrestation. Certains craignent que cela n'aggrave les tensions entre les gangs et les forces de l'ordre dans la commune, entraînant potentiellement des représailles violentes sur la population civile. « Nous vivons déjà dans la peur, et cela pourrait encore aggraver la situation. Si la justice veut vraiment le coincer, elle le peut. Tout le monde sait qu'il mène des activités illégales, des bandits sont tout le temps dans son hôtel. La DCPJ devrait venir faire des fouilles », a déclaré une mère de famille qui souhaite rester dans l'anonymat.

Victor Profane est très influent dans la commune, et bon nombre de citoyens contactés par notre rédaction sont très inquiets, car beaucoup d'individus lourdement armés dans la commune travaillent sur ordre de l'ancien député, souligne Pierre, un professeur d'école.

Selon des rapports de l'ONU, la situation à Petite-Rivière s'inscrit dans un contexte plus large de violence généralisée en Haïti, où les gangs contrôlent environ 80 % de la capitale du pays. La violence des gangs a atteint des niveaux alarmants, avec une augmentation significative des homicides et des enlèvements depuis l'assassinat du président Jovenel Moïse en 2021. Environ 5,2 millions de personnes ont besoin d'aide humanitaire, dont près de 5 millions souffrent d'insécurité alimentaire sévère.

En septembre 2023, le rapport du panel d'experts créé par la résolution 2653 (2022) du Conseil de sécurité des Nations unies a mis en exergue des liens spécifiques entre certains politiciens et acteurs financiers haïtiens d'une part, et les gangs d'autre part. Selon le dernier rapport du Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH) qui se concentre sur le Bas-Artibonite, entre janvier 2022 et octobre 2023, au moins 1 694 personnes ont été tuées, blessées ou kidnappées. Pour l'Artibonite, ils ont établi que Prophane Victor, ancien parlementaire de Petite Rivière de l'Artibonite, et Youri Latortue, ancien président du Sénat (2017-2018), avaient financé et armé respectivement les gangs de Gran Grif et de Raboteau pour commettre des exactions et des intimidations à des fins électorales. Une certaine accalmie a été observée dans la violence des gangs en Artibonite suite à la mort du leader de gang Gran Grif, Odma Louissaint, qui, avant sa mort, accuse l'ancien député d'être son complice dans une vidéo publiée sur Internet.

Les habitants de Petite Rivière de l'Artibonite, comme tant d'autres dans le pays, vivent dans la peur constante des affrontements armés et des extorsions. L'arrestation de l'ancien député est un événement marquant pour la commune, révélant à la fois l'espoir d'un changement et les craintes persistantes d'une violence accrue. Alors que les citoyens attendent avec impatience des mesures concrètes pour améliorer leur sécurité, ils demeurent vigilants face à un avenir incertain.


À propos de l'auteur. Daniel Lamour (Timafi) est journaliste, photographe et spécialiste du langage. Il explore la littérature du Sud, la mémoire des populations noires, la culture créole haïtienne dans l’espace caribéen.

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