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Du 4 au 7 avril 2025, la ville de Boston, la Harvard Kennedy School et la communauté haïtienne locale ont accueilli un hôte d’exception : l’Immortel Dany Laferrière. Invité par le Consulat général d’Haïti, cette tournée n’aurait pu se concrétiser sans la synergie des acteurs locaux et la générosité de l’écrivain. Une série de rencontres, de dialogues et de moments d’une rare intensité ont marqué son passage dans le Massachusetts.
Une entrée sous la pluie
C’est sous une fine pluie, presque symbolique, que Dany Laferrière a fait son entrée à la Harvard Kennedy School. Accueilli par Moïse Anilus, Ph. D., un leader prometteur de la communauté des alumni d’Harvard, ainsi que par les docteures Milady Auguste et Sophia Belgarde, il est conduit à la prestigieuse salle BELFER 400, au 4ᵉ étage, pour sa conférence / causerie du forum Collaboration to Impact Haiti. Mais au lieu d’un exposé académique, c’est avec « la littérature, l’arme la plus subversive » qu’il choisit d’intervenir. Le ton est donné : une prise de parole traversée de poésie, portée par un souffle de révolte, de mémoire et d’espérance.




Sous le regard projeté de son propre portrait, Dany Laferrière prend la parole à Harvard : « Je crois qu’il faut des pauses même au cœur de la plus folle douleur ». Une causerie marquée par la gravité et la grâce. Photos: Yves Lafortune.
Une performance collective, une métaphore en mouvement
Dans ce moment de questionnement, où les regards se croisent entre incertitude et volonté de changement, une voix fuse de l’intérieur de l’école : « We are powerful! We are impactful! We are Haiti! » Séphora Drouillard, portée par l’énergie ambiante, scande ces mots tout en mimant, sans le savoir, la lettre H d’Haïti : une claque de mains pour la barre horizontale, un saut et deux bras dressés pour les verticales. Dany Laferrière, dans un éclair d’intuition poétique, y décèle une image forte, un symbole à la fois simple et puissant.
Une parole grave, habitée, nourrie de mémoire
Parmi les nombreuses personnalités présentes – le pasteur Grégory Toussaint, Dre Solanges Vivens, les docteures Auguste et Belgarde – la modération de Marc Alain Boucicault et la voix de Dany Laferrière captent l’attention. Devant un auditoire éclectique composé d’étudiants, d’enseignants, d’écrivains, de diplomates, de figures politiques et de leaders religieux, il parle sans notes, avec une grâce empreinte de gravité. Il convoque son enfance, le café de Da, ses souvenirs, et les tisse à une réflexion sur Haïti, sa langue, sa culture, son avenir. « Il ne suffit pas de dire que vous aimez le créole. Il faut œuvrer à le faire avancer », lance-t-il, rappelant le lien indéfectible entre langue et émancipation (CTN 2025).
Le cri littéraire comme continuité du politique
Lors de la causerie intitulée Conversation autour d’Haïti, Laferrière va plus loin. Sa parole, traversée par l’indignation et la lucidité, prend des accents de revendication morale :
« Une dette, c’est ce que l’on contracte librement, en empruntant une somme avec l’engagement de la restituer. Mais dans le cas d’Haïti, il ne s’agit nullement d’une dette : c’est d’extorsion qu’il faut parler. Il ne convient pas de supplier, mais de revendiquer ce qui nous est dû. Et au-delà de cette spoliation historique, il est temps d’exiger réparation pour trois siècles d’esclavage.»
Ce discours résonne comme un prolongement de son roman Le Cri des oiseaux fous, publié en 2000. Un texte emblématique, écrit dans l’urgence, en une seule nuit de fuite, où le narrateur, double de l’auteur, doit quitter précipitamment son pays. Ce roman, à la fois journal intime, récit politique et poème en prose, explore les peurs, la nostalgie, les rues de Port-au-Prince, tout en affirmant la fonction salvatrice de la littérature.
Un rôle politique pour l’écrivain haïtien
Le Cri des oiseaux fous incarne une prise de parole en situation de péril, comme on l’est partout dans le monde aujourd’hui. Il est ce cri de ceux qui refusent le silence et choisissent la mémoire comme arme. En cela, la portée du roman est à la fois symbolique et politique : il devient un acte de résistance face à l’oppression, interroge, interpelle, et s’inscrit dans une tradition de lutte par les mots, où l’écriture est une manière d’habiter le monde autrement.
À Harvard, Laferrière ne se contente pas de revisiter ses œuvres : il en prolonge le sens, les transpose dans un présent toujours hanté par l’histoire coloniale. Sa parole, poétique et politique, rappelle à tous que la justice passe aussi par la mémoire, et que la littérature peut être un instrument de réclamation.
Un souffle de dignité
Le passage de Dany Laferrière à Boston, au-delà de l’événement littéraire, s’inscrit dans une dynamique de réappropriation symbolique. Entre dignité retrouvée et exigence de justice, il redonne à la diaspora haïtienne, et à la jeunesse en particulier, un horizon à rêver, à penser, à construire. En somme, le cri de l’écrivain s’est fait entendre jusque dans les murs de Harvard, et a retenti avec force cette semaine aussi au Québec. Le 22 avril 2025, il nous offre un nouveau livre : la parole continue, elle n’est pas près de s’éteindre.
Références
Laferrière, Dany. Le Cri des oiseaux fous. Montréal : Boréal, 2000.
Laferrière, Dany. Tout ce qu’on ne te dira pas, Mongo. Montréal : Mémoire d’encrier, 2015.
Sanon, R. (2025). Haïtiens à Harvard : “L’Amérique est mon abri. Haïti est ma maison.” CTN. https://ctninfo.com/fr/haitiens-a-harvard-lamerique-est-mon-abri-haiti-est-ma-maison/