Aller au contenu

Évolution des parcs de logements sociaux en Haïti : Cas du village La Différence à Caracol (2012-2022)

Note de recherche d'une étude sur les transformations du village EKAM à Caracol, présentant l'évolution 2012-2022 des logements sociaux.

Table des matières

De nombreux projets de logements sociaux ont été réalisés en Haïti après le 12 janvier 2010. Cependant, ces projets sont loin d'être suffisants pour répondre aux besoins en matière de logement dans le pays. Ils ont été principalement financés par des bailleurs de fonds internationaux via des ONG. La plupart de ces logements sociaux sont occupés sans contrôle d'instances régulatrices (EPPLS, 2015). Comme l'indiquent nos enquêtes, « des logements sociaux construits pour une catégorie de la population se retrouvent souvent occupés par une autre, en fonction des caractéristiques du logement et de son environnement » (EPPLS, 2015).

Le village La Différence de Caracol est l'un des parcs de logements sociaux construits après le séisme du 12 janvier 2010 en Haïti. Financé en 2012 par le gouvernement américain via l'USAID, il se compose de 750 unités de logement. Ces unités de logement étaient toutes uniformes au départ et destinées à loger des déplacés du tremblement de terre du 12 janvier 2010 et d'autres ménages vulnérables, notamment les ouvriers du Parc industriel de Caracol. Dix ans après sa construction, la configuration de ce parc de logements est en train de changer : les unités de logement se modifient en dehors des normes établies, les profils de certains occupants ne correspondent pas à ceux auxquels le village était destiné, etc. Dans ce contexte, nous avons proposé, dans notre travail de fin d'études, une analyse de la problématique des transformations physiques et sociales du village La Différence (EKAM) entre 2012 et 2022.

Stratégies d'acquisition des données utilisées

Pour étudier cette problématique de transformation du village EKAM de Caracol, nous avons combiné des données quantitatives et qualitatives de manière complémentaire. Diverses sources documentaires ont été consultées, et plusieurs sorties exploratoires ont été effectuées dans le village La Différence. Une enquête a été réalisée auprès des représentants de 170 unités de logement distinctes. Le questionnaire utilisé, structuré en quatre sections, a permis de recueillir des informations précises sur le logement, les raisons des transformations, les parcours résidentiels des enquêtés et leur statut socioprofessionnel. Enfin, des entretiens ont été menés avec des acteurs clés du secteur du logement social en Haïti et de la gestion du village. Nous avons utilisé un téléphone intelligent pour l'enregistrement des entretiens.

De la construction à la transformation du village EKAM de Caracol

Le village EKAM était destiné à répondre aux besoins de logement à proximité des lieux d'emploi, comme le Parc Industriel de Caracol (PIC). Valéry Daudier (2014) qualifiait le village La Différence de « village des ouvriers », soulignant dans un article que : « En milieu de journée, les portes de beaucoup de maisons sont fermées. Les enfants sont à l'école alors que les parents travaillent au Parc Industriel de Caracol. » Aujourd'hui, le village s'est transformé en un véritable marché immobilier, avec des logements vendus par leurs propriétaires et d'autres agrandis pour être mis en location.

Les locataires nous ont confirmé que le coût du loyer a augmenté dans le village. Selon le directeur départemental de l'EPPLS (Nord-Est) et le président du village, au départ, le loyer annuel d'un logement non agrandi variait entre 12 000 et 15 000 gourdes. Aujourd'hui, le prix est d'environ 100 000 gourdes, dépassant ainsi les 90 000 gourdes que le logement a coûtées à son propriétaire. Pour la vente des logements, cette pratique est assez courante et rentable. Selon le président du comité de gestion du village, le prix d'une unité de logement non agrandie était de 15 000 dollars américains en 2022, ce qui pousse de plus en plus de bénéficiaires à vendre leurs logements. Toutefois, selon le directeur départemental de l'EPPLS (Nord-Est), cette pratique se déroule sans l'implication de l'EPPLS et va à l'encontre des objectifs du projet.

Les données de notre enquête de 2022 révèlent que les anciens habitants, principalement des ouvriers du Parc Industriel de Caracol, étaient de moins en moins présents au village, tandis que de nouveaux résidents arrivaient en grand nombre. Plus de la moitié des enquêtés (96 sur 170) vivaient au village depuis moins de cinq ans. Il était principalement habité par des cadres supérieurs (représentant près de 45 % des enquêtés), dont certains venaient du Cap-Haïtien et y travaillaient. On y trouvait également des étudiants (environ 19 % des enquêtés), ainsi que des cadres intermédiaires. Enfin, environ 12 % des enquêtés vivaient dans le village tout en travaillant au PIC, et tous n'étaient pas des ouvriers.

Le village est donc marqué par une double dynamique : d'une part, une forte attractivité due aux services qu'il offre (l'accès à l'eau ainsi qu'à l'électricité 24 h/24), à sa sécurité, à son calme et au fait que les logements sont très abordables pour les nouvelles catégories sociales intéressées à venir habiter le village ; et d'autre part, une certaine répulsion pour les anciens habitants, pour qui la vie au village devient de plus en plus difficile en raison de la hausse des loyers et des coûts des services.

Outre la structure sociale du village, physiquement, le village EKAM se transforme. Les unités de logement sont de plus en plus modifiées et agrandies, et ces transformations sautent aux yeux de tous. Ces modifications touchent pratiquement tous les aspects des logements. Toutefois, certaines unités de logement restent encore inchangées (voir figure 1).

Figure 1 : Des unités de logement non modifiées au village La Différence (EKAM)

Credit: Chedlet Julien, 2022

Un grand nombre d'unités de logement ont été faiblement modifiées par leurs occupants. Ces modifications concernent des unités qui ont été transformées, mais non agrandies (voir figure 2). D'autres maisons ont subi des modifications encore plus significatives : elles sont pour la plupart agrandies, et dans certains cas, d'autres niveaux ont été ajoutés (voir figure 3).

Figure 2: Une unité de logement modifiée, mais non agrandie au village EKAM

Credit: Chedlet Julien, 2022

Figure 3 : Un logement agrandi avec l’addition d’un niveau supérieur au logement au village EKAM

Credit: Chedlet Julien, 2022

Les agrandissements des logements sont généralement réalisés pour répondre aux besoins d'espace de leurs occupants, pour être mis en location ou par désir personnel (voir graphique 1).

Graphe 1 : Répartition des unités de logement en fonction de la raison de l’agrandissement

Le nombre de chambres ajoutées à chaque unité de logement agrandie varie. Selon les données de notre enquête menée auprès des habitants du village en août 2022, les unités étaient agrandies jusqu'à atteindre sept chambres, soit cinq chambres supplémentaires. Toutefois, les unités de logement comptant jusqu'à cinq chambres représentaient la majorité (voir graphique 2).

Graphe 2 : Répartition des unités de logement agrandies en fonction du  nombre de chambres ajoutées

Les agrandissements sont réalisés en dehors de toute norme établie et sans respecter les conditions du contrat, selon le directeur départemental de l'EPPLS (Nord-Est) et le président du village. Ces derniers sont conscients que certains agrandissements dénaturent l'aspect physique du village et qualifient de dérive ce qui se passe en son sein, mais se trouvent impuissants face à la situation.

Conclusion

Les données de nos enquêtes ont démontré que le choix du village par ses occupants est calculé, et les services qu'il offre constituent les raisons dominantes dans ce choix. De plus, le village EKAM constitue l'un des exemples de projets de logements sociaux mal planifiés et mal coordonnés dans le pays après 2010. Les bailleurs de fonds internationaux et les ONG contractées ont réalisé le projet sans véritable coordination avec les autres acteurs, qu'il s'agisse des organismes étatiques œuvrant dans le secteur du logement, des autorités locales, etc.

Pour améliorer la gestion du village et éviter que la situation ne se détériore, il est important que l'EPPLS, le comité de gestion, la mairie de Caracol et les habitants travaillent ensemble. Il faut clarifier les rôles de chacun, contrôler la vente et la location des logements, et aménager l'intérieur des plateformes pour éviter les agrandissements non autorisés. Concernant les nouveaux projets de logements sociaux, les promoteurs doivent prendre en compte les problèmes des anciens parcs, proposer des projets adaptés à différentes catégories sociales, assurer une bonne coordination entre tous les acteurs et encourager l'utilisation des énergies renouvelables.

Références

Daudier, V. (2014, 25 février). Caracol : Village Ti Koulin, village des ouvriers. Le Nouvelliste.

EPPLS. (2015). Actes du colloque sur la problématique des logements sociaux en Haïti : État des lieux, défis, enjeux et perspectives.

USAID. (2015). Infrastructure fact sheet: Support for Caracol EKAM.


commentaires

Dernières nouvelles