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Les heures, les années passent et se ressemblent ; ce sont toujours les mêmes soixante minutes, les mêmes 365 jours ; toutefois, la situation économique, sociale, sanitaire et, surtout, sécuritaire du pays s’empirent en même temps que nous vieillissons et croupissons de plus en plus dans la précarité. À chaque nouvelle année, nous faisons des vœux que très rarement nous parvenons à réaliser parce que nous pensons qu’avec l’année qui change, le fait de vouloir voir ou souhaiter les choses s’améliorer, elles s’amélioreront effectivement. Quelle connerie !
Seul notre agir peut contribuer à métamorphoser la réalité.
Toute l’affaire, c’est nous qui devrions changer, car vouloir n’est pas pouvoir, aussi longtemps que vouloir n’est pas transformé en mode d’agir, que vouloir ne commande pas la praxis. Nous faisons également des souhaits, comme si ces souhaits se réaliseront par le fait de les penser et exprimer même sincèrement. Et les personnes auxquelles ces souhaits s’adressent croient vraiment que par la magie du verbe, ces souhaits se feront réalité. Quelle merde ! Nous accordons plus de crédit à la supposée force des mots, nos vœux pieux, les souhaits hypocrites, qu’à nos actions qui, par notre sacrifice et notre engagement serein et constant, sont vraiment capables de déplacer les montagnes. Cessons de croire au verbe vide, futile, et encore délétère : seul notre agir peut contribuer à métamorphoser la réalité. Avec l’aide de la métaphysique, le verbe peut apparaître comme une force agissante, mais dans un monde dont le socle s’érige sur des rapports de forces, des conditions objectives et des contradictions chaque jour plus corsées, on ne peut pas se permettre, en plein jour, de somnambuler!
Nous sommes des dépositaires immérités du legs de nos ancêtres ; un héritage dont nous contribuons, au jour le jour, à dessein ou non, à dévaloriser, (quel dommage, quel tort à notre mémoire !) parce que nous sommes, ou devenons, des hommes et des femmes du verbe vide, de la bondieuserie. On n’est même pas capable de se rendre compte que la seule fois que la parole s’est faite action, c’était au commencement du temps ; un temps qui, toutefois, n’a jamais eu vraiment de commencement. Ou même que cet aphorisme fut poreux. Nous avons perdu le goût du sacrifice, le goût de l’engagement sincère, constant. Nous vivons comme si nous n’avions pas de dessein, de raison transcendante. Quelle imposture ! Nous perdons notre temps dans des combats sans lendemain. Nous sommes devenus doublement esclaves, esclaves d’un héritage d’un poids pour lequel nos épaules n’ont plus de carrure ; et esclaves mentalement, par la pensée que nos vœux pieux, nos souhaits creux, notre bondye bon peuvent tout transformer, même à changer l’eau en vin. Quel sophisme !
Nous sommes devenus des marionnettes livrées à la propagande des marionnettistes de tout poil, à cet arrangement de mots fait pour décevoir, à ce verbe mystifiant créateur d’illusions fausses. Lorsque nous nous rendrons compte que les mots étaient vains, creux, spiritueux, il sera peut-être déjà trop tard. La terre, et ses ressources, que nos ancêtres nous ont léguées sont notre paradis et notre enfer selon que nous avons choisi qu’elle soit l’un des deux. Tant que nous la sentons encore sous nos pieds, nous pouvons nous dire que la lutte pour la garder, cette terre, telle qu’elle nous a été léguée, la lutte pour la vie continue. Pas un pouce de cette terre ne doit appartenir aux héritiers usurpateurs ni par troc, ni par procuration !
Je me plains de ceux-là qui se taguent d’appartenir à une certaine élite, surtout celle dite intellectuelle ; ces mesquins, ces manipulateurs habiles du verbe, mais dépourvus de tout courage de se rendre digne de leur histoire. Ceux-là mêmes qui n’ont pas la carapace de s’indigner lorsque des agents étrangers manifestement et impunément se déclarent instigateurs du climat d’insécurité et, incidemment, des meurtres sur une population aux abois, désemparée et dépouillée. Quelle perfidie !
Christophe les aurait, ces étrangers, fait rencontrer avec Baron Samdi! Alors que nous n’avons même pas le culot d’exercer notre obligation citoyenne d’exiger que ces pervers soient déclarés indésirables sur notre sol sacré. Une élite est, avant tout, une avant-garde, consciente de sa mission historique et de son rôle indispensable; en faire partie implique des responsabilités citoyennes et désintéressées. Une élite qui n’est pas à même de s’examiner ou de réexaminer son parcours historique et ses choix délibérés est une élite imposteur.
Toussaint, Dessalines ou Christophe ne reviendront plus; ils ont fait leur travail de citoyens pionniers. Nous devons apprendre d’eux, nous élever à leur hauteur et les dépasser même. Cessons le verbiage intellectualisé, rendons-nous, par notre action et notre engagement pour ce pays, dignes de leur héritage ô combien irrépliquable !
La patrie est en train de s’écrouler et s’écroulera avec nous
Tout pour dire : je refuse dorénavant de faire des souhaits, mais vous invite plutôt, Haïtiens et Haïtiennes, citoyens et citoyennes, à vous engager, à manifester votre ras-le-bol, à imputer vos malheurs aux démons déclarés et à ses suppôts ! La patrie est en train de s’écrouler et s’écroulera avec nous ! Réveillons-nous !
Hayti, 1er janvier 2025